REPORTAGE

Zineb

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« Je découpe mes robes pour obliger mon mari à m’en acheter de nouveaux » en rit Zineb. Ce brave homme, aujourd’hui défunt, a certainement dû en racheter souvent car Zineb a des besoins inépuisables. Depuis le décès de son mari, elle vit chez son unique fils. Quelques habits, un peu de vaisselle, une télévision et une montagne de couvertures et de tapis multicolores meublent sa chambre. Zineb tisse presque comme elle respire, sans y penser, mécaniquement. Il ne lui faut pas plus de dix jours par tapis, une vraie ouvrière du textile. Mais les anciens boucharouites, elle les garde précieusement dans sa chambre, non pas pour leur valeur marchande, mais pour leur portée sentimentale. L’un est fait des petites chemises et des pantalons de son fils lorsqu’il n’était qu’un galopin qui crapahutait dans les montagnes. L’autre est fait de ses vêtements de jeune fille aux motifs floraux. Celui sur lequel elle est assise, aujourd'hui, a été découpé dans les chemises de son mari. Au premier coup d’œil, ses voisines reconnaissent la provenance des chiffons, provoquant irrémédiablement un torrent de rires et de taquineries. Zineb s’en amuse de bonne grâce, rajoutant du comique au ridicule, s'il le faut. Elle a l'art de conter les histoires. Elle ne sait pas écrire mais elle tisse sa vie dans ces tapis calligraphiques. Chaque boucharouite porte les stigmates de son époque. L’année où l’hiver a été rude, le tapis qui l’a suivi s’est fait de bons morceaux de chaudes robes molletonnées. En période de sécheresse, elle a découpé des dessous et des chemises en acrylique. Lorsque les récoltes ont été bonnes, elle a réduit en pièces des caftans et des gandouras de soie et de cachemire. Dès qu’elle déroule l’un d’entre eux, apparaît un instantané familial. Maintenant que son mari est parti, Zineb envoie son fils au marché. Il en ramène des ballots multicolores pour alimenter la consommation frénétique de sa mère. Ces tapis, destinés à d'autres, ne méritent guère mieux que ces chiffons venus de Casablanca. De plus, la chambre de Zineb ne peut plus accueillir de nouveaux occupants. Les archives familiales sont désormais clauses.